Le Monde - 15 février 2008
Plus
d'éoliennes, pas moins de CO2
Monsieur le maire est heureux : cinq éoliennes de
135 m de haut se dressent au-dessus de la plaine. Début février, la commune de
Saint-André-Farivillers (Oise) a vu commencer à tourner les pales de son nouveau
parc éolien, d'une puissance de 11,5 mégawatts (MW). Comme la compagnie
exploitante, Enertrag France, versera chaque année à la commune une taxe
professionnelle (environ 700 euros par MW et par point de taxe professionnelle),
Claude Le Couteulx attend près de 40 000 euros de recettes
supplémentaires.
"On a deux usines qui versent de l'ordre de 60 000
euros, précise-t-il. Cette nouvelle ressource est bienvenue. Je n'ai pas
de terrain de football pour les jeunes. La signalisation, ça coûte la peau des
fesses : on va faire un plan à l'entrée du village. Et puis, on va continuer à
refaire les vitraux de notre église du XVe siècle. De plus, avec les
éoliennes, il a fallu élargir les chemins communaux à quatre mètres, et il va
falloir les entretenir." L'édile espère aussi aider les plus pauvres de ses
550 administrés à payer la rénovation de l'assainissement individuel de leur
maison, obligatoire.
Le projet, porté avec enthousiasme par le maire, n'a suscité
presqu'aucune critique dans le village. Le directeur d'Enertrag, Philippe
Gouverneur, se félicite de ce bon accueil. Son entreprise attend du parc, qui
nécessite un investissement de l'ordre de 16 millions d'euros, une rentabilité
moyenne dépassant 10 % par an.
Le développement de l'éolien est incontestablement une bonne
affaire pour les communes comme pour les entreprises qui s'y emploient. Bien que
l'électricité produite par le vent soit actuellement parmi les plus coûteuses,
sa rentabilité est assurée par une taxe prélevée sur les factures de tous les
abonnés. L'objectif est précisément d'encourager la croissance de cette énergie
renouvelable.
Mais ce qui est bon pour les communes et pour les entreprises
l'est-il pour la collectivité ? Les éoliennes sont-elles un moyen efficace de
lutter contre le changement climatique ? La réponse semblait évidemment oui.
Jusqu'à la publication d'une étude réalisée par la Fédération environnement
durable, rassemblant des associations opposées aux éoliennes, qui jette un pavé
dans la mare (voir http://environnementdurable.net ).
L'auteur de l'étude, Marc Lefranc, vice-président de la
fédération, a comparé l'évolution des émissions de CO2 (gaz
carbonique), le principal gaz à effet de serre, des pays qui ont le plus
développé en Europe les éoliennes. Logiquement, puisque les éoliennes n'émettent
pas de CO2, ces pays devraient présenter un bilan particulièrement
favorable.
Mais les chiffres de l'office statistique européen Eurostat
montrent que l'Allemagne, malgré un parc éolien de plus de 18 000 MW, a vu les
émissions de CO2 par habitant provenant du secteur de l'énergie non
pas décroître mais augmenter de 1,2 %, entre 2000 et 2005. L'Espagne, avec plus
de 10 000 MW, a connu une augmentation de 10,4 % sur la même période. Le
Danemark, champion mondial des éoliennes compte tenu de sa faible population,
connaît une baisse de 11 %. Mais, en fait, observe M. Lefranc, le doublement des
importations d'électricité du Danemark explique en grande partie ce bon
résultat. Au total, résume le document, le développement de l'éolien présent un
bilan "très décevant du point de vue économique et environnemental".
Certes, il faut tenir compte des circonstances. Ainsi,
l'Espagne a-t-elle connu un développement économique très important, qui a fait
exploser la consommation d'électricité. L'Allemagne a intégré sa partie
orientale, dont la consommation électrique a fortement augmenté pour rejoindre
le niveau de la partie occidentale. Et l'on peut se demander si, sans éoliennes,
leurs émissions n'auraient pas été encore plus élevées.
Mais l'étude pose une question étonnamment négligée par les
institutions énergétiques : dans quelle mesure l'éolien peut-il réduire les
émissions de CO2 ? L'Agence internationale de l'énergie est muette
sur le sujet ; l'Agence de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ne fournit pas de
réponse. Une analyse a été menée indirectement, en France, par Réseau de
transport d'électricité (RTE), sur le problème de l'intermittence de la
fourniture d'électricité par les éoliennes. Celle-ci peut contraindre à recourir
à des centrales thermiques quand des pointes de consommation, en hiver, se
conjuguent à une absence de vent. En fait, observe RTE dans son Bilan
prévisionnel 2007, les "excursions de puissance à satisfaire par les
équipements thermiques" sont accrues "de manière de plus en plus
conséquente quand le parc éolien s'étoffe".
Les experts favorables à l'éolien ont du mal à répondre à la
question posée par l'étude de la Fédération environnement durable. "Si la
consommation augmente quand la population augmente, cela absorbe le petit gain
permis par l'éolien", observe Pierre Radanne, expert indépendant. "Il est
sûr que, si l'on ne fait pas d'effort d'économies d'énergie, l'éolien ne sert à
rien", dit Raphaël Claustre, directeur du Centre de liaison des énergies
renouvelables.
"RÉDUIRE LES CONSOMMATIONS"
En fait, l'éolien n'a de sens que dans le cadre d'une politique
globale de l'énergie visant à maîtriser la consommation d'électricité : "La
première chose à faire est de réduire les consommations, note Jean-Louis
Bal, chargé des énergies renouvelables à l'Ademe, mais personne ne le
fait."
Le raisonnement est confirmé par Jean-Marc Jancovici, ingénieur
et membre du comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot : "Ce
qu'on voit en Allemagne et en Espagne, c'est que plus d'énergies renouvelables
ne signifie pas forcément moins de combustibles fossiles. En fait, les
promoteurs de l'éolien font comme les promoteurs du nucléaire : ils favorisent
une politique de l'offre, alors que c'est une politique de la demande qui est
nécessaire. Mieux vaut inciter la société à accepter une hausse du
prix de l'électricité qui la poussera à réduire sa consommation, que de
développer l'éolien."
Alors que l'on prévoit 7 000 MW d'énergie d'origine éolienne en
France en 2012, le parc de centrales thermiques à gaz devrait aussi augmenter de
près de 10 000 MW. Un exemple de ce paradoxe se trouve près de Saint-Brieuc
(Côtes-d'Armor), où Gaz de France projette une centrale à gaz de 232 MW tandis
que Poweo prépare un parc éolien en mer de puissance comparable. Une expertise
réalisée à la demande d'élus a montré qu'il y aurait du coup plus d'énergie que
le département n'en a besoin.
"Les éoliennes me font penser aux agrocarburants de première
génération, explique Marc Lefranc. Au début, on pensait que c'était bien,
et puis quand on a fait le bilan environnemental, on s'est aperçu que c'était
très discutable. Par rapport au changement climatique, la première chose à faire
est de mettre en place les techniques d'économies d'énergie. Et ensuite, de
hiérarchiser les énergies renouvelables pour investir à bon escient."
Hervé Kempf